Dans l’industrie, l’identification des projets éligibles au crédit impôt recherche (CIR) et au crédit impôt innovation (CII) repose moins sur l’intuition que sur des critères objectifs : existence d’un verrou technique, incertitude quant au résultat, approche expérimentale et traçabilité des travaux. Pour distinguer une simple amélioration de process d’un véritable projet éligible, il convient d’évaluer la nature des difficultés rencontrées et la manière dont l’équipe les aborde. Cet article propose un cadre concret pour qualifier vos initiatives et éviter les faux positifs.
Les bons signaux d’un projet industriel éligible
Un projet a de fortes chances d’entrer dans le périmètre du CIR ou du CII lorsqu’il mobilise des compétences pointues pour résoudre un problème non couvert par l’état de l’art interne ou public. Les indices à rechercher : une hypothèse technique incertaine, des essais itératifs, des résultats partiels (y compris négatifs) et une capitalisation méthodique.
- Nouveaux matériaux / procédés : mise au point d’un composite plus résistant à température/contrainte égale, optimisation de traitements thermiques innovants, réduction d’émissions lors d’un procédé de surface.
- Contrôle qualité avancé : vision industrielle et IA pour détecter des défauts faibles signal/bruit en ligne, mise au point d’algorithmes propriétaires robustes aux variations de production.
- Systèmes embarqués et mécatronique : conception d’une loi de commande inédite pour stabiliser un actionneur, architecture électronique durcie pour environnements sévères.
- Énergie et performance industrielle : prototype d’optimisation d’une ligne (recettes process, paramètres multi-variables), récupération de chaleur avec modélisation et essais pilotes.
Selon la nature des travaux, l’effort peut relever du CIR (résolution d’incertitudes scientifiques/techniques) ou du CII (conception de prototypes/installation pilote d’un produit nouveau).
Ce qui n’est généralement pas éligible
Certains chantiers industriels, bien que stratégiques, ne correspondent pas aux critères d’éligibilité :
- Transfert ou intégration “clé en main” d’une solution existante sans adaptation originale substantielle.
- Optimisation courante, paramétrage standard, montée de version d’un logiciel ou d’un automate sans difficulté technique nouvelle.
- Améliorations purement esthétiques, marketing, ergonomiques sans apport technologique mesurable.
- Qualité documentaire, méthodes Lean, réorganisation d’atelier, déploiements ERP non porteurs d’un verrou technique.
Comment documenter pour prouver l’éligibilité
La substance prime : un dossier solide montre ce que l’on ne savait pas, comment on l’a testé et ce que l’on a appris. En pratique : journal d’essais (dates, paramètres, résultats), justification des choix (modèles, tests comparatifs, simulations), preuves des itérations (versions de prototypes, codes, plans), et traçabilité des compétences mobilisées (rôles, temps, livrables). Cette discipline facilite autant la qualification technique que la valorisation financière au titre du crédit impot recherche ou du CII.
Bonnes pratiques “industrie” pour trier vite les projets
Adoptez une grille courte, utilisable en revue de portefeuille :
1) Le problème dépasse-t-il les référentiels connus ? (brevets, normes, littérature, retours internes)
2) Existe-t-il une hypothèse technique risquée et testable ?
3) Des essais contrôlés sont-ils prévus (plan d’expériences, KPI techniques) ?
4) La solution cible est-elle généralisable (au-delà d’un simple réglage local) ?
5) Les livrables techniques et la traçabilité des coûts sont-ils planifiés ?
Cas d’usage : lecture rapide
Ligne d’assemblage : si l’amélioration passe par un modèle de détection propriétaire entraîné sur vos conditions spécifiques, avec essais/itérations pour robustesse temps réel → piste CIR. Si vous assemblez des briques standards sans verrous → hors périmètre.
Nouvelle pièce injectée : mise au point d’une matière/recette cycle + rétroconception des défauts de retrait, essais moule instrumenté → CIR. Prototype de produit intégrant ces avancées en vue d’un lancement → CII pour la partie prototype.
Rétrofit énergétique : simple paramétrage d’automates → non. Modélisation thermofluide + capteurs + algorithmes de pilotage développés et validés en pilote → éligible (CIR pour R&D, CII pour prototype).
Passer de l’intuition à la décision
En industrialisant ce tri (revue mensuelle des chantiers, grille d’éligibilité, “logbook” d’essais), vous convertissez des projets cachés en actifs financiers via le CIR/CII. Pour aller plus loin, une équipe d’experts peut auditer votre portefeuille, cartographier les verrous techniques et sécuriser la qualification, tout en respectant vos contraintes opérationnelles.